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Mutations de la relation au travail dans le Social- Partie 3 : les Stages

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Mutations de la relation au travail dans le Social- Partie 3 : les Stages
20 Nov 2024

Mutations de la relation au travail dans le Social- Partie 3 : les Stages

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Mutations de la relation au travail dans le Social- Partie 3 : les Stages

La formation en travail social est professionnelle autant qu’elle est équitablement répartie entre formation théorique et pratique. La formation pratique revêt un caractère central au cœur du système de formation. Elle est non seulement l’occasion de la confrontation aux réalités et problématiques psycho-sociales, médicales ou sociétales, mais elle donne également tout son sens à la formation théorique, à partir de l’analyse des pratiques. Là encore, des mutations récentes dans la manière d’aborder le choix professionnel pour le travail social, mais aussi dans les attentes des étudiants vis-à-vis d’une formation préparatoire, impactent la manière d’aborder les stages.

La caractéristique principale d’une formation professionnelle est l’équilibre entre le temps de formation théorique et pratique. C’est ce qui fait encore toute l’exception des formations du secteur social. Il existe peu de filières aussi longues avec un temps de mise en situation et de pratique aussi important.

Cette importance de la formation pratique est en effet la clef de voûte de l’architecture de formation en travail social. C’est dans cet aller-retour entre temps de formation théorique, et la confrontation avec les réalités institutionnelles et de terrain qu’était pensé tout le processus de professionnalisation de l’étudiant.

Assez légitimement, la durée importante des stages a posé la question de leur gratification. Ne s’agissait-il pas de travail déguisé dont pouvaient incidemment profiter des institutions ou structures sociales peu scrupuleuses ?

C’était mal connaître la réalité de déroulement des stages dans la plupart des institutions médico-socioéducatives classiques qui composent encore l’essentiel des terrains d’activité professionnelle et de stage.

Dans la plupart de ces structures, les stagiaires restaient cantonnés dans des tâches et des responsabilités généralement très limitées. Leur liberté d’action, leurs possibilités d’initiative demeuraient le plus souvent réduites.

Dans certains lieux (notamment dans les établissements de la petite enfance) on forçait les stagiaires à se mettre en retrait, on les plaçait en situation « d’observation ». Il était par exemple courant d’interdire à un stagiaire de parler à des parents d’enfants accueillis, sans le contrôle d’un salarié, voire parfois d’engager de son propre chef une relation éducative particulière. C’est à peine si durant le stage dit long, en « responsabilité », on autorisait le dit étudiant à mener un petit projet, ou à prendre la responsabilité d’une simple activité.

Toutefois, la réalité de la précarisation des conditions de vie des étudiants a préparé l’opinion publique et générale à la nécessaire gratification des stages.

Les craintes, à l’origine de cette mesure se sont avérées fondées : l’offre de stage gratifié a diminué ; elle est souvent limitée aux institutions les plus classiques, les mieux dotées en budget. Et encore, même au sein de ces grosses structures, le nombre de stagiaires a été drastiquement réduit à l’occasion de cette nouvelle exigence.

Il est étonnant que cette saine préoccupation concernant les moyens d’existence des étudiants durant leur temps de formation ait pu s’accompagner de l’augmentation régulière du nombre d’étudiants qui ont aujourd’hui l’obligation de financer eux-mêmes les coûts de leur formation.

Nous voyons depuis quelques années se répandre la pratique des étudiants, admis en centre de formation, « hors quota », c’est-à-dire acceptés en cours à condition de financer eux-mêmes les frais de leur scolarité. La plupart de ces derniers sont obligés de contracter des crédits pour mener à bien leur projet ou bien de dépendre de leurs parents pour y parvenir.

Il y a une quinzaine d’années, quand on a commencé à voir apparaître des centres de formation entièrement privés, sans convention avec la Région pour la prise en charge financière des formations professionnelles du Social (et du secteur de l’animation), on était loin de se douter que cette situation dans laquelle les étudiants allaient devoir financer le coût de leur scolarité, allait se généraliser.

Toujours est-il que cette situation ahurissante, « à l’américaine », passe plutôt inaperçue tandis que l’exigence de gratification des stages fragilise d’autant les possibilités des étudiants de se former, par manque d’offre de places « gratifiées ».

Qu’elle soit gratifiée ou non, la situation de stage semble aujourd’hui vécue par les étudiants en travail social d’une manière nouvelle ; celui-ci ne semble plus perçu par les intéressés comme une confrontation avec un terrain, mais plutôt comme une sorte d’exercice obligatoire, dont les contraintes sont souvent considérées comme dérangeantes.

Pour de nombreux étudiants actuels, l’expérience du stage semble s’être inversée ; il ne semble plus que la question principale qui anime ces nouveaux stagiaires serait de savoir s’ils sont à la hauteur d’une situation professionnelle donnée, mais bien plus fréquemment de se demander si le terrain de stage est conforme à leurs désirs, à leurs besoins ; en un mot si le lieu est suffisamment bon pour eux.

Sur notre terrain d’activité, nous rencontrons régulièrement des stagiaires ou des candidats stagiaires qui attendent de la part de notre équipe que nous leur apportions les réponses clefs en mains aux travaux de réflexion sur la pratique, que leur commande leur centre de formation. Certains nous adressent directement comme si c’était à nous d’y répondre les questionnements que leur donnent leurs formateurs afin de les faire réfléchir sur leur pratique.

Nous avons même souvent l’impression d’une curieuse inversion ; c’est nous qui nous sentons évalués par les stagiaires et souvent sur des critères inattendus : notre capacité à comprendre leurs empêchements, leurs réticences ou leur irrégularité.

Nous avons même eu la surprise, une fois de découvrir qu’une stagiaire dans notre structure avait évalué notre organisation sur Google, avec des petites étoiles, comme pour une Pizzeria.

Au-delà de l’anecdote, ce qui semble avoir durablement changé, c’est la capacité de mettre en question les pratiques, ou les structures sociales. L’étonnement, la recherche de sens ne semblent plus de mise ou alors paraissent hors de portée. Tout est plus simple : une structure, un lieu sont bons ou mauvais en eux-mêmes, du simple fait de la qualité des personnes qui y travaillent. La réflexion sur la prise en compte des besoins des publics, l’analyse de l’adéquation des pratiques vis-à-vis de la perception de ces besoins, le débat sur d’autres pratiques possibles, tout cela semble hors de portée ou hors de propos pour un nouveau type de stagiaires qui a tendance à prendre chaque structure, chaque institution comme « un allant de soi », un simple objet de la nature, sans histoire, sans origine et sans objectif.

Bien entendu ces propos ne prétendent pas nier la très grande diversité des personnes ; il reste à ce jour des stagiaires passionnés, investis et curieux de tout. Ces derniers, d’autant plus précieux, nous semblent remarquables.

A ce stade de notre analyse, nous nous apercevons que les phénomènes que nous décrivons ne se limitent évidemment pas au secteur Social, ni même à la formation professionnelle.

C’est bel et bien la relation au travail en général, qui semble en cours de mutation actuellement ; la précarisation du monde du travail, de la situation de l’emploi, la fragilisation des parcours professionnels semblent avoir éloigné la question du travail, des préoccupations et de l’intérêt personnel. Une sorte de désamour semble s’être installée de manière durable vis-à-vis du travail en général. Les nouveaux travailleurs accèdent avec difficulté, mais aussi avec angoisse et prudence dans le monde professionnel.

Ils semblent encombrés par une nouvelle préoccupation ; une immense soif de reconnaissance personnelle. Une nouvelle angoisse semble les préoccuper à chaque instant : les a-t-on bien traités ? Les a-t-on suffisamment reconnus dans leurs singularités ?

La peur de se sentir maltraité au travail, préoccupation louable de notre époque, semble prendre une telle importance qu’elle éclipse toute notion de difficulté ou d’apprentissage. Face au terrain, et à la réalité du travail, il ne semble plus naturel d’éprouver des difficultés, d’être déstabilisé. Et pourtant, on ne peut changer, avancer et évoluer que quand on se confronte à des problèmes. Il semble aujourd’hui que toute difficulté soit vécue comme un dommage personnel, quelque chose qu’il ne faudrait pas accepter et qui motive abandon ou rupture, fût-ce au prix de sacrifier tout ce qu’on a investi pour parvenir à cette formation.

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