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Des forces inexplicables surdéterminent toute politique et toute action sociale. Il est étonnant depuis quelques temps de constater à la fois un progrès dans les mentalités des acteurs sociaux, voire de leur hiérarchie sur des sujets qui faisaient autrefois polémique et une impuissance totale à inverser les tendances ou les décisions.
Tout le monde s’entend à présent sur les effets catastrophiques des expulsions de bidonvilles, comme sur le désastre en matière de continuité éducative que cela représente pour de nombreux enfants.
Tout le monde, y compris au passage ceux qui sont en charge de ce type de décisions, est d’accord pour dire qu’il est impossible de fermer des hôpitaux de banlieue, qui constituent le dernier rempart de santé des milieux précaires. Tout le monde prétend avoir sauvé la situation, évité tout dégât, neutralisé les conséquences et pourtant… l’hôpital va fermer, ajoutant au désastre sanitaire des effets terribles sur l’emploi, le commerce et la vitalité du quartier dans lequel il se tenait.
Tout le monde juge inacceptable que les piscines ferment en été ou définitivement; que les MJC et centres sociaux disparaissent les uns après les autres, mais rien n’y fait.
Nous vivons une étrange époque où des peuples qui ne sont pas ennemis se mettent en guerre sans qu’on y croit vraiment.
Nous vivons une époque où l’improbable, le certain se produisent moins sous l’effet de forces irrépressibles et contraignantes, comme c’était le cas autrefois, que par l’incapacité à agir sur ce que nous subissons.
Jamais les acteurs sociaux n’ont trouvé aussi peu de résistance à leurs idées et à leurs arguments; jamais leurs soucis n’ont été à ce point partagés par les financeurs, les institutions et même les objectifs politiques, et pourtant l’effondrement est hors de contrôle.
Comme une catastrophe climatique, cet effondrement a commencé à bas bruit, il y a bien longtemps et son amplification semble aujourd’hui hors de contrôle.
C’est sans doute cela qui s’est produit; nous avons perdu la maîtrise depuis si longtemps, qu’il semble déraisonnable de devoir refaire tout ce chemin à l’envers ou de renverser les tendances. Par une sorte d’économie de pensée, nous ne saurions poursuivre que sur la même voie, alors que nous savons déjà qu’elle nous mène au bord du gouffre. Il semble plus simple, somme toute, d’avancer toujours.
Les militants éducatifs que nous sommes, engagés en Pédagogie sociale, ont l’habitude depuis longtemps de se diriger par vent contraire. Mais à présent, le vent ne souffle plus. Nos constats sont partagés, nos pratiques ne font plus polémique, nos objectifs et mots d’ordre (“aller vers”, “empowerment”, travail social communautaire) sont même à la mode.
Ce que à quoi nous affrontons, chaque jour , c’est à l’acceptation face au désastre ; à l’habituation du pire, à la résignation de la grenouille, déjà à moitié cuite, qui utilise sa dernière énergie à l’adaptation à la température qui monte, plutôt qu’à s’enfuir.
Alors nous sommes priés d’agir, avec les moyens du bord pour contrer les ravages d’une machine, devenue folle et que personne ne sait arrêter.
A force d’avoir fait taire toute opposition, toute polémique, toute divergence, ce qui a été tué c’est l’imagination et le désir d’agir. Cette “machine à détruire tout ce qui fait société” continue sa course aveugle, sans obstacle, et sans véritable adversaire.
” A force de faire semblant d’apprendre, la seule chose qu’on apprend c’est à faire semblant”, disait Freinet. “A force de prétendre faire du Social, alors qu’on fait tout le contraire, c’est l’idée même du Social qu’on a perdu”, pourrait-on ajouter aujourd’hui.
Quand les mots sont à ce point usés qu’ils sont devenus impuissants; impuissants à susciter l’action ou à donner des directions, il faut inventer un autre langage. Il nous faut de nouveaux mots aujourd’hui pour nous orienter , pour donner du sens à nos idées et pratiques. Il nous faut de nouveaux noms, de nouveaux verbes.
“Le climat change, changeons tout!”
Laurent
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